Cela fait plusieurs années que Maître Sophie Cohen alerte sur les dangers des ”pervers narcissiques”. Dans son ouvrage ”Le Conjoint Prédateur” (2012), elle y décrit les phénomènes nocifs pour l’autre membre du couple qui découlent de comportements de ces personnes toxiques.
Dans la plupart des cas de divorce, le sujet de la garde des enfants est source de tensions, et ces acteurs qui devraient être extérieurs au conflit deviennent des otages de la procédure de séparation entre leurs parents, les êtres qui leur sont le plus cher et le plus important.
Parmi les sujets que Maître Cohen aborde dans son ouvrage et auquel elle est confrontée quotidiennement dans l’exercice de sa profession, celui de l’aliénation parentale mérite une attention particulière parce qu’il touche non seulement le conjoint victime mais aussi les enfants du couple.
Le P’tit Hebdo: Qu’est-ce que l’aliénation parentale?
Maître Sophie Cohen: C’est un phénomène que l’on rencontre dans les divorces hautement conflictuels. Il est courant, après un divorce de voir le parent toxique tout mettre en œuvre pour monter les enfants contre le parent victime.
On parle d’aliénation parentale lorsque l’un des parents se met à dresser son ou ses enfants contre l’autre parent par le biais d’allégations mensongères contre ce dernier . Cela peut parfois aller jusqu’à la rupture totale des liens avec le parent aliéné et même avec toute sa famille: oncles, tantes, grands-parents….
Lph: Comment cela se traduit-il?
Me S.C.: Par le biais d’une manipulation psychologique très insidieuse le parent aliénant va faire passer l’autre parent pour le parent mauvais, méchant, source de tous les maux et ne cessera de le dénigrer afin de le discréditer totalement auprès de ses enfants. Dans le même temps le parent aliénant, qui est un grand manipulateur, se fait passer pour la victime auprès de ses enfants afin d’attirer leur compassion et leur aide.
Sans le savoir, l’enfant, qui va se retrouver complètement manipulé, va se rallier corps et âme au parent aliénant et devenir l’instrument de destruction du parent qui l’aime vraiment.
Suite à ce matraquage psychologique et au chantage affectif mis en place par le parent aliénant, l’enfant peut en arriver à devenir insolent et violent avec le parent victime, et même porter des accusations mensongères contre lui.
Pour ces parents aliénés, leurs enfants deviennent des ennemis… Ils n’ont plus aucune empathie pour leur parent et deviennent complètement hermétiques à son amour.
Dans certains cas graves, l’enfant peut même en arriver à ne plus vouloir aucune relation avec le parent victime. Ces enfants se retrouvent ainsi « orphelins » d’un parent qui est encore vivant et aimant. Cette rupture des relations peut ainsi durer pendant des années et tout cela, sur la base de mensonges et de manipulation.
J’ai ainsi des clients/es qui n’ont pas été invité/es au mariage de leurs propres enfants, ni même ne connaissent leur petits-enfants.
Lph: Quelles sont les conséquences sur les enfants eux-mêmes?
Me S.C.: Les enfants victimes d’aliénation parentale sont des enfants en grande souffrance car ils sont déchirés entre leurs deux parents et utilisés dans un conflit auquel ils ne devraient pas être mêlés.
L’enfant n’est plus considéré comme un être humain qui a des besoins et des sentiments mais comme un outil au service des plans diaboliques de l’un de ses parents contre l’autre parent.
Ces enfants se retrouvent ainsi privés de ce dont ils ont le plus besoin: l’amour et la protection du parent qui les aime sincèrement et veut leur bien. Car il faut bien comprendre que le parent aliénant n’aime pas ses enfants et les utilise uniquement dans le but de nuire à son ex – conjoint.
Se servir des enfants à cette fin ne pose aucun problème de conscience au parent aliénant. Le but recherché est également souvent purement financier, comme le fait d’obtenir la garde exclusive des enfants pour ne pas payer de pension alimentaire, par exemple. Cependant, s’il obtient la garde des enfants grâce à ses stratégies de manipulations, très souvent il ne s’occupera absolument pas d’eux.
L’aliénation parentale est destructrice pour les enfants, parce qu’elle ne leur permet pas de grandir dans un cadre équilibré. Ce sont des enfants qui sont privés non seulement de l’amour et des soins du conjoint victime mais souvent de l’amour de toute leur famille: grands- parents, tantes, oncles. Par conséquent les dommages sont très conséquents pour ces enfants. Ce sont des années de gâchées qui ne reviendront jamais.
Ces enfants sont souvent en grand manque d’amour et d’affection et en perte totale de leur identité comme je l’explique de façon approfondie dans mon livre.
Ils vont souvent combler ces manques affectifs en allant vers des paradis artificiels comme la drogue, l’alcool, ou avoir de mauvaises fréquentations et pour les plus jeunes développer une hyperactivité par exemple.
Un divorce crée déjà, en soi, un environnement compliqué pour les enfants, mais dans ce cas, le sentiment de culpabilité et la souffrance sont décuplés.
Et ce schéma de relations toxiques, il y a de grands risques pour que ces enfants le reproduisent dans leur relation amoureuse, soit en devenant eux-mêmes pervers narcissiques soit en se mettant en couple avec un tel individu, car c’est le seul schéma qu’ils connaissent.
Lph: Quelles sont les solutions pour ces enfants?
Me S.C.: Des accompagnements psychologiques pourraient aider, mais pour cela, il faut que les deux parents donnent leur accord. Or, très souvent le conjoint toxique s’opposera à toute tentative du parent victime dans ce sens ou fera tout pour contrecarrer le conjoint victime dans toutes ses initiatives. Il faudra alors passer par des demandes incessantes auprès des tribunaux pour obtenir ces aides. Le parent victime peut aller lui-même en traitement en espérant y trouver des réponses, des solutions. Mais est-ce suffisant?
Seuls les professionnels de la justice pourraient agir efficacement par des décisions qui permettraient à l’enfant de sortir de cette emprise nocive du parent manipulateur mais encore faudrait-il qu’ils aient les outils pour mettre en place ces mesures et qu’ils soient en mesure d’identifier qui est le conjoint manipulateur, or aucune formation n’existe actuellement en ce sens. Certaines lois sont en train d’être mises en place par le gouvernement israélien face au syndrome d’aliénation parentale mais nous en sommes encore aux prémices et en attendant des centaines de victimes et leurs enfants continuent de vivre ces drames au quotidien.
Lph: Comment savoir si le parent qui se présente comme aliéné dit la vérité?
Me S.C.: Il existe des symptômes qui permettent d’identifier un processus d’aliénation parentale comme le fait de critiquer constamment sont conjoint et de l’accuser de tous les maux ou le fait qu’un enfant adopte un comportement agressif avec lui, sans vraie raison, ou encore si la pension alimentaire n’est pas versée régulièrement. Mais il est vrai que la difficulté dans les cas d’aliénation parentale réside dans le fait que cette violence est purement psychologique et donc invisible à l’œil nu et de ce fait passe sous les radars des professionnels de la justice qui ne sont pas formés à la compréhension de ces mécanismes. Et attendu que ces derniers n’ont pas les outils pour identifier qui est le parent toxique et les stratégies de manipulation qu’il met en place alors le conjoint aliénant, en plus d’avoir détruit son époux (se) se verra souvent décerner le ”prix” d’obtenir la garde des enfants !!!
Lph: Même la justice ne peut rien pour aider ces enfants et leur parent victime?
Me S.C.: La justice est actuellement impuissante face au syndrome d’aliénation parental pour la raison que j’ai évoquée plus haut , à savoir, que les avocats, les magistrats et même les assistantes sociales qui rédigent leurs rapports, n’ont aucune formation face à la pathologie de la perversion narcissique et sont dans l’incapacité de la détecter. Cela peut engendrer des jugements erronés, comme celui de confier la garde des enfants à un parent que l’autre s’évertue à dénoncer comme dangereux pour ses enfants. Ou au contraire, à retirer la garde à un parent que l’autre parvient à faire passer pour déséquilibré(e). Et dans certains cas extrêmes, la solution préconisée sera de retirer la garde des enfants aux deux parents. D’où l’hésitation de certains parents aliénés de se plaindre…
Il est très compliqué pour tous ces professionnels de démêler le vrai du faux dans ce type de dossiers. Cela crée des situations dramatiques et un manque de confiance des parents victimes vis-à-vis des acteurs de la justice qui sont censés les aider. Souvent mes clients soumettent le livre, qui existe aussi en hébreu:”בן הזוג הטורף”
, aux assistantes sociales et même au juge pour qu’ils comprennent ce qu’ils vivent au quotidien.
Lph: Comment peut-on changer cet état de fait?
Me S.C.: Pour ma part, je préconise plusieurs choses. La première est de parler de ce sujet au maximum pour que tout le monde soit conscient de son existence. Récemment une émission de télévision israélienne a enquêté sur le sujet. La présentatrice (Tsofit Grant) a reconnu avoir reçu depuis des centaines de demandes de parents qui vivent dans cette situation. Dans mon cabinet, j’en reçois des dizaines. Beaucoup sont des mères, mais les pères aussi peuvent être victimes. C’est un vrai sujet de société sur lequel il convient de ne pas fermer les yeux, parce que les conséquences seront perceptibles sur des générations. Et je ne parle pas des suicides de parents privés de voir leurs enfants à cause d’un ex-conjoint manipulateur.
La prévention avant le mariage est aussi fondamentale. Les candidats au mariage doivent avoir les outils nécessaires pour détecter un pervers narcissique.
Parallèlement, il est indispensable de doter la justice des moyens nécessaires pour régler ces sujets. Cela commence par une formation spéciale indispensable pour les assistantes sociales, les magistrats, les policiers, les médiateurs, les avocats… à cette pathologie, afin de pouvoir la détecter et y apporter les meilleures réponses. Un arsenal de lois sur le sujet doit être mis en place pour que les juges aient sur quoi appuyer leurs décisions. C’est la mission que je me suis fixée, par des conférences que je donne devant les avocats du barreau d’Israël, notamment. J’ai également donné mon livre, traduit en hébreu, à plusieurs députés et à la ministre de la Justice.
Lph: Une note optimiste pour l’avenir ?…
Me S.C.: Le problème de l’aliénation parentale est répandu. Aujourd’hui, les victimes ne se sentent pas assez écoutées et comprises.
Tant que la pathologie de la perversion narcissique ne sera pas reconnue par les législations et que la volonté de former des professionnels compétents ne sera pas traduite dans les actes, les parents victimes et les enfants continueront de vivre ces situations extrêmement éprouvantes. Nous sommes tous concernés, nous devons porter ce sujet haut et fort jusqu’à ce qu’il soit traité à la hauteur de sa gravité.
Je reste cependant optimiste car ces derniers mois j’ai intégré la commission droit, psychologie et psychiatrie attachée au barreau des avocats de Tel aviv sous l’égide de deux femmes formidables Maître Edna Chakel et Maître Hava Gurevitch qui se battent à mes côtés pour que ces formations se mettent en place et j’espère que je pourrai bientôt vous annoncer de bonnes nouvelles concernant l’avancée de nos travaux.
”Le Conjoint Prédateur”, disponible en français et en hébreu à la Librairie Vice-Versa de Jérusalem et à la Librairie du Foyer à Tel Aviv et sur Amazon pour la version en français.
Pour aller plus loin:
Sophie Cohen, law offices
Keren Hayessod 19A Jérusalem
e-mail : dr-ariel@zahav.net.il
Tel :054-6468157
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay